1ère Édition de l’Appel à Projets, le bilan

Nous avons annoncé ce matin les noms des 20 projets sélectionnés pour nous rencontrer lors d’entretiens. Après une lecture attentive des plus de 450 dossiers que nous avons reçus et lus attentivement avec l’aide de notre comité, puisque l’on ne peut vous adresser des retours personnalisés, nous avons rédigé une synthèse de ce qu’auraient pu être ces retours.

Tout d’abord, nous avons été ravis de constater votre intérêt pour les séries Jeunes Adultes, ainsi que pour les idées que nous exposons dans notre Manifeste. Nous avons été très heureux de vous lire et avons hâte que des séries ambitieuses voient le jour suite à cet Appel.

Nos critères de sélection ?

Les trois angles qui ont le plus compté dans notre lecture ont été la modernité du sujet, la force du moteur sériel, ainsi que le point de vue défendu par le(s) auteur.i.ce(s) de la série.

C’est quoi la modernité ?

Comme nous l’avons écrit dans le Manifeste de Création publié l’été dernier sur le blog de Bigger Than Fiction, la modernité passe selon nous par ces trois aspects : 

  • Des univers inclusifs, qui valorisent la jeunesse et le changement.
  • Des thèmes radicaux, des ambiances audacieuses proposant un reflet actuel et réaliste des générations Y et Z, ainsi que leurs liens avec les autres générations.
  • Des concepts et des procédés narratifs innovants, afin d’inspirer un nouveau rapport aux histoires.
  • Des personnages connectés, permettant de créer des dispositifs narratifs actuels.

En pratique, cela signifie que nous souhaitons œuvrer à une meilleure représentation de la vraie vie dans la fiction. Nous sommes convaincus de l’influence positive sur l’imaginaire collectif que peuvent avoir des histoires dans lesquelles des personnages avant-gardistes appliquent des règles de vies progressistes, inclusives et tolérantes, dans lesquelles un groupe ou une société à des comportements vertueux. Nous cherchons des projets dont les protagonistes sont des femmes, issu.e.s des diversités, handicapé.e.s, membres de la communauté LGBTQIA+, issu.e.s de milieux précaires, résidents en région, ont des morphologies hors-norme. Nous souhaitons pour cela travailler avec des auteur.rice.s ou des comédien.ne.s concerné.e.s. Pour garantir un propos novateur, il nous semble nécessaire

que le sujet (racisme, homophobie, exclusion des handicapés…) ne soit pas également le thème d’une œuvre. Il est important de mettre en scène des personnages mal représentés mais de leur faire vivre des conflits qui ne soient pas uniquement liés à leur différence.

Vous avez compris nos attentes et parmi tous vos projets, voici quelques exemples des grandes tendances que nous avons particulièrement appréciées : l’identité de genre et la sexualité, qu’elle soit queer ou hétéro, les particularités physiques ou psychologiqueaus face  validisme, la santé mentale, les ruptures amoureuses et amicales, le mal-logement, la colocation, l’intérêt grandissant pour l’ésotérisme, la banlieue, les modes de vie alternatifs et la ruralité.

Et le principe dramatique ?

Nous vous avons demandé de nous faire parvenir un document de concept, nous n’avons donc pas jugé les dossiers sur la présence ou non de synopsis d’épisodes, même si nous avons été impressionnés par la capacité de certains à construire l’arche de toute leur saison dans le délai très court de l’Appel.

Le principe dramatique, c’est ce qui fait avancer l’action, souvent incarné par le conflit interne du protagoniste. Par exemple, dans une série character-driven, c’est-à-dire où le spectateur est tenu par les relations entre les personnages, il faut quand même un conflit majeur afin de ne pas tomber dans la chronique. Si l’on prend votre série de colocataires préférée, Friends, dont plusieurs d’entre vous nous ont proposé une version actualisée, le conflit majeur qui permet à la série de se renouveler indéfiniment reste : Rachel et Ross vont-ils finir ensemble ? Dans Les Sopranos ce serait : entre la mafia et ses proches, laquelle des deux familles de Tony Soprano aura sa peau ? Ou pour le grand classique Game of Thrones (arena-driven) : qui va s’asseoir sur le Trône ?

Contrairement à un film, où la structure classique tient à l’arc transformationnel de son protagoniste, donc sur le changement, le principe dramatique d’une série tient sur l’équilibre périlleux entre la répétition et la variation. Appliqué à vos dossiers, cela veut dire que nous  souhaitions pouvoir identifier très rapidement quel était le conflit central qui allait se jouer au sein d’une saison, tout en étant capable de se répéter à l’infini sur les saisons suivantes, sans avoir pour autant l’impression de tourner en rond. C’est à ce moment que les storylines interviennent et permettent, tout en étant connectées au conflit central, de développer le propos de l’auteur.ice, ainsi que de proposer une arène riche.

La recette simple pour donner un dilemme insoluble à son protagoniste est de le placer entre deux valeurs irréconciliables, entre lesquelles il devra faire un choix. Ce choix sera constamment renouvelé et empêché au sein des différentes storylines, jusqu’au point final de la série. A partir du moment où le choix est fait, la série ne peut plus continuer (dans les faits, bien des séries continuent après ce point de rupture mais c’est généralement à ce moment que le public commence à trouver que c’est trop long). Pour sortir un peu des pontes américains on peut prendre l’exemple français de 10% ou le dilemme insoluble de chaque agent est le travail vs la vie privée, en exerçant précisément un métier qui mélange les deux.

La question du point de vue.

Tout le monde a un point de vue. Nous souhaitions simplement voir émerger à travers ce dossier, votre identité d’auteur.ice, la particularité de votre série. Comment choisir entre deux projets de colocation ? Entre deux dystopies ? Deux projets dépeignant le quotidien dans une cité ? Deux projets sur les sorcières modernes ?

Il est très important d’avoir un concept simple et clair, facilement identifiable. Mais à cela s’ajoute ce que vous voulez dire sur le monde, votre voix particulière, pourquoi vous êtes la bonne personne pour porter ce récit.

L’originalité à tous les niveaux peut apporter de la confusion, il faut donc créer un équilibre entre l’originalité du concept, des personnages et du ton. On peut par exemple avoir un dispositif très classique d’une bande de potes, avec des personnalités totalement décalées. A l’inverse, un univers très éloigné de notre réalité, avec des personnages plus facilement identifiables. Ou encore chercher l’originalité dans la mise en scène, notamment les dispositifs transmédias.

Votre point de vue s’exprime dans votre note d’intention, mais il faut aussi que ces intentions se retrouvent dans le ton de votre projet. Il est important par exemple dans un projet qui nous promet une comédie, que le dossier nous fasse rire. Le dossier doit déjà faire exister l’atmosphère de votre série, grâce à votre rédaction, à votre présentation et au moodboard.

En résumé, c’est quoi un bon projet de série ?

Revenons de façon rapide et synthétique sur les éléments que doit contenir un dossier :

  • Avoir un moteur sériel. C’est-à-dire le conflit majeur qui impulse le mouvement de votre récit, motivé par deux valeurs entre lesquelles il est impossible de choisir.
  • Identifier son “driven”. Plot-driven : la majeure partie d’un épisode est consacrée au “plot”, l’intrigue. Particulièrement vrai dans le genre du polar. Character-driven : ce qui compte le plus, ce sont les relations entre les personnages. Arena-driven : la guerre entre les clans au sein d’un univers (Game of Thrones, Lost). Aucun genre n’existe à l’état pur, il faudra évidemment mettre de l’intrigue dans les séries de personnages et inversement, développer énormément sur les règles de l’univers dans les projets arena, mais ne pas les oublier dans les autres driven. Dans un dossier, vous n’êtes pas obligés de dire littéralement “le driven de ma série est…” au risque de paraître trop scolaire, mais votre lecteur doit pouvoir l’identifier clairement.
  • Ne pas concevoir la narration sérielle comme un long-métrage découpé, ou avoir conscience que si on fait cela on crée une mini-série. Aucun choix n’est bon ou mauvais par essence mais il est important d’en avoir conscience pour maîtriser son récit.
  • Des fiches personnages qui ne sont pas des backstories, sauf si elles sont essentielles à la compréhension du projet, mais qui font émerger le réseau de personnages avec des promesses de conflits, du fait d’intérêts et de points de vue divergents.
  • Une arène bien définie, qui existe visuellement et soit le meilleur contexte pour faire émerger les enjeux de vos personnages. Pensez votre arène comme la métaphore visuelle de votre point de vue, l’extériorisation du conflit interne de votre protagoniste.
  • Penser au média que l’on vise. Le plaisir de créer ne doit évidemment pas être conditionné par ce point et nous avons nous-mêmes une démarche innovante. Cependant votre dossier doit nous permettre d’identifier votre cible et un potentiel canal de diffusion, que ce soit sur une chaîne classique ou sur une plateforme et si le  format que vous proposez est réaliste quant au contenu de votre concept.

Quand j’ai tous mes ingrédients, dans quel ordre je les présente ?

  • Le titre (c’est ce qui semble le plus évident, mais parfois il ne figurait pas dans certains dossiers). Il doit donner envie de voir la série, contenir la promesse de la série et bien sonner (mais ça peut évoluer en cours de développement).
  • La logline. Une phrase ou question qui marque l’identité du projet et nous mette tout de suite dans le ton.
  • Un concept ou pitch de quelques lignes qui nous permette d’identifier très rapidement où on est, ce qu’on va nous raconter, de qui on raconte l’histoire. Exposer le contexte et donner l’incident déclencheur, à quel moment on entre dans la vie de ces personnages et pourquoi.
  • Des fiches personnages, pas trop longues, exprimant clairement qui est le personnage au moment où démarre le récit (incident déclencheur), son objectif individuel et comment ça va créer du conflit au sein du réseau de personnages, donc des promesses de storylines.
  • La question des synopsis est plus sujette à débat. Elle peut autant vous servir en démontrant que vous savez exactement où vous allez et comment vous allez rythmer votre récit, que vous tirer une balle dans le pied en mettant l’accent sur des fragilités dans l’intrigue ou des incohérences. Il ne faut pas non plus noyer votre lecteur sous un flot d’informations, tout en lui donnant de la matière et ne pas faire l’effet d’un joli emballage vide. Un synopsis court du pilote peut être un bon moyen de donner un premier aperçu de votre série tout en laissant l’espace à vos futurs collaborateurs de vous accompagner sur la suite du projet.
  • Une note d’intention, qui témoigne de votre point de vue et de votre démarche d’auteur.ice en nous proposant ce sujet particulier. Tout ce que vous évoquez dans votre note d’intention doit se retrouver dans ce qui précède, l’idée n’est pas qu’en vous lisant le lecteur se dise “intéressant, mais ce n’est pas dans l’histoire, dommage !” Il ne s’agit pas de se raccrocher aux branches, mais de donner le sous-texte de cette série et votre lien avec elle.
  • Un moodboard. Vous devez accorder plus de temps et de réflexion aux points précédents mais le moodboard est une bonne façon de faire exister l’univers de votre série et de rendre sa lecture agréable, fluide.

Pour finir, toute l’équipe de Bigger Than Fiction est très heureuse d’avoir vécu cette aventure grâce à vos récits et nous sommes impatients de rencontrer nos 20 sélectionnés, mais aussi de continuer à vous lire pour porter ensemble nos rêves sur nos écrans.