The Stream, une émission participative qui ouvre la voie à la Social TV

Al Jazeera English, chaîne d’information internationale du groupe Al Jazeera, a été créée en 2006 à l’image de CNN International et de BBC World. La chaîne affiche comme politique éditoriale d’être précurseur en terme d’innovations technologiques dans l’information, et compte bien par là concurrencer les grands médias internationaux.

Avec son nouveau programme The Stream, lancé le 2 mai dernier à la télévision et en amont sur le site Web la chaîne a une nouvelle fois démontré son caractère avant-gardiste en faisant vivre l’expérience des médias sociaux à ses téléspectateurs.

Après les évènements des “Printemps arabes”et le scandale de Wikileaks, les médias sociaux sont devenus incontournables dans la mobilisation politique. C’est pour cette raison qu’ils ont leur place sur un média de masse comme la télévision.

Le concept de The Stream repose sur la participation des publics via le Web. Il se décline sous la forme d’une émission télévisée quotidienne présentée par deux journalistes Américains Derrick Ashong et Ahmed Shihab-eldin, en 3 séquences de 30 minutes (5 jours sur 7 à 10h30, 16h30 et 21h30) et un site Web agrégateur de sources d’informations non professionnelles, qui intègrent tous deux les principaux médias sociaux (Twitter, Facebook, Ustream, Skype). L’objectif étant de traiter l’information sous un angle de “citoyen-journaliste”.

En effet, The Stream offre la possibilité à quiconque de produire du contenu, de donner son avis, de partager leur ressenti, leur vécu, à propos de l’actualité jour après jour. Les internautes dispose de leur site, de leur page Facebook ou de leur compte twitter pour réagir.

On est dans une démarche de remédiation des médias traditionaux : ce n’est pas la télévision qui fournit les contenus au Web mais bien le Web qui fournit la matière au show télévisé.

Lors de la diffusion de l’émission TV, un Storify qui retrace les temps forts du thème abordé est publié sur le site. Il reprend les tweets, les photos, les commentaires Facebook… qui ont permis d’illustrer le sujet en plateau.

A la télévision, l’émission quotidienne:

Chacune des 3 séquences du jour a pour thème un sujet chaud de l’actualité et qui fait déjà parler de lui sur le Web: « Les Stories ». Le débat est lancé et on assiste à 30 minutes d’échanges entre les présentateurs et les internautes qui interagissent en direct. L’émission se construit sous nos yeux en direct et le studio d’enregistrement fait également office de salle de rédaction. Les écrans sont omniprésents sur le plateau, chaque présentateur, qui joue un rôle de modérateur, a son ordinateur et le flux Twitter est projeté en géant sur un des murs. Des interviews via Skype peuvent également avoir lieu.

Sur le Web :

Hébergé sur le site d’Al Jazeera English, le site The Stream offre  la possibilité de regarde les émissions précédentes, d’accéder aux différents flux d’informations avec un Storify pour chacune des thématiques (remis à jour quand l’actualité l’oblige) et qui affiche les différentes sources (vidéos sur YouTube, commentaires sur Facebook, Tweets…). Cette présence centralise les discussions et favorise également les interactions entre les différents followers.

Avec les innovations récurrentes des médias sociaux et du Web en général, on peut imaginer que le développement de The Stream s’enrichira au fil des mois de nouveaux outils et d’une présence sur les réseaux sociaux encore plus accrue. Le concept de l’émission reposant sur la participation via le Web, The Stream devra être capable de suivre les évolutions technologiques et de se renouveler si besoin est.

Analyse :

Al Jazeera English avec ce concept original de The Stream, contrecarre ses grands concurrents de chez CNN et BBC en proposant une vraie émission de journalisme citoyen internationale. Ils donnent une vraie légitimité à ces sources d’information qui sortent du circuit des médias traditionnels, critiquées par ceux-ci, mais qui sont pourtant de plus en plus privilégiées par des publics qui ont perdu confiance dans ces médias de masse : trop chers, trop institutionnalisés, trop politisés, trop corrompus…

En se définissant comme un média social avec des sources d’informations provenant du net, The Stream ne paye pas pour les contenus qu’il diffuse. Ainsi le site a l’avantage de ne pas être parsemé de publicités comme une grande majorité de médias d’information gratuits ou payants. Les contenus et vidéos sont proposés gratuitement, le site de The Stream innove donc en tant que média d’information entièrement gratuit, et non sponsorisé par la publicité. Encore une fois, tout cela n’est possible que grâce au Web et la mine d’or informationnelle qu’il représente, ainsi qu’une participation du public via les réseaux sociaux, qui font vivre The Stream à la télévision comme sur le Web.

En permettant au public d’être de réels producteurs de contenus qu’ils vont éditer grâce leurs outils de communication quotidiens, The Stream s’impose par rapport à un talk show classique par la liberté et la flexibilité de sa la ligne éditoriale. Chaque show est imprévisible à l’image des réactions du public.

Néanmoins, ce côté participatif n’a t-il pas ces limites ? En effet, comment être sûr de la véracité des informations délivrées par ces flux ? En effet, ce qui pose problème avec les informations provenant du Web c’est l’identification de la source et la légitimité de celle-ci.

Mais comme The Stream donne la parole à des citoyens lambda qui justement, n’ont pas cette légitimité dans le monde des médias et de l’information, on peut se demander quelles sources vont être privilégiées et débattues en plateau ?Tout le monde a-t-il vraiment la place d’exprimer son ressenti, son expérience ?

De plus, donner la parole a “tout le monde” implique forcément quelques dérives. Insultes, fabulations, critiques gratuites, usurpations d’identité, divulgation d’informations secrètes sont forcément à prendre en compte dans ce type de relation qu’entretient le show avec son public. Le rôle des journalistes est donc très important, ce sont des community managers qui animent cette communauté de journalistes citoyens, et qui font le choix de parler de tel tweet plutôt que d’ un autre, de publier telle vidéo…

Sous ses apparences de radio libre, prônant la liberté d’expression pour tous et par tous, The Stream est quand même cadré par des journalistes qui incarnent l’identité de l’émission et de la chaîne de par le monde.

De plus, l’équipe de The Stream devra forcément crée un dispositif pour trier les différents contenus et diriger leur éditeurs vers les sujets qu’ils abordent afin d’éviter la saturation des flux.

The Stream propose de sortir du schéma traditionnel qui est de faire entrer la télévision chez les gens : ici on permet aux gens d’entrer facilement dans la télévision en se servant d’outils qu’ils utilisent quotidiennement. En parallèle, la politique éditoriale de la chaîne et sa réputation sont incarnées par les journalistes et les choix qu’ils opèrent en direct.

Depuis sa création (début mai), The Stream s’est déja constitué une communauté de 2971 fans sur Facebook, de 4391 followers sur Twitter, on peut donc parler de succès pour ce show “participatif”. Il a permis à Al jazeera de recruter de nouvelles audiences, plus jeunes, plus internationales, plus “connectées”.

Avec ce concept qui repose essentiellement sur la démocratisation des médias à l’image de la démocratisation de monde Arabe en pleine révolution, nous sommes en droit de penser que les chaînes de télévision vont donner de plus en plus la parole à leurs publics via les réseaux sociaux et ainsi ouvrir la voie à la Social TV.

A propos des auteurs:

Manon Perroud et Mathilde Prat ont toutes deux suivi des cursus spécialisés dans la production audiovisuelle. Convaincues que la convergence des médias va offrir de nouvelles opportunités à la création de contenus multi-supports, elles ont rejoint récemment Julien Aubert chez Bigger than fiction pour accompagner les entreprises voulant mettre en place des stratégies transmedia.

@mannonperroud, @Mathildmedia
@BggrThnFctn